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L'Union Européenne et ses politiques d'élargissement : la Moldavie

Dernière mise à jour : 8 avr.


L'ouverture des négociations quant à une future adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne le 14 décembre 2023 consacre des décennies de travail relatives aux politiques d'élargissement de l'Union, et marque un tournant majeur pour un pays historiquement et intrinsèquement tiraillé entre Est et Ouest. Mais ouvre aussi un chapitre jonché d'incertitudes et de défis.


par Maddalena Magnante et Enzo Colomer

 
Maia Sundu et Ursula

La présidente moldave Maia Sandu et la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen le 31 mai 2023 à Chisinau © in-cyprus


Le 14 décembre, Charles Michel, Président du Conseil européen, annonçait à Bruxelles que les 27 États membres acceptaient à l’unanimité d’ouvrir les négociations quant à une future adhésion à l’Union européenne de l’Ukraine et de la Moldavie. Décrite comme un “moment historique”, cette décision représente l’aboutissement d'années de partenariat entre l’UE et ses voisins orientaux, et constitue un signal fort envers la Russie de Poutine. À ce titre, la perspective d’une future adhésion de ces pays à l’UE ne représente plus seulement un rêve vu comme irréaliste, mais une volonté concrète et partagée par les États membres de l’Union. Et s’inscrit dans la lignée des politiques d’élargissement de l’UE, consacrées par le Sommet européen de La Haye en 1969. Néanmoins, il semble évident de souligner l’historicité de ce processus, fait de décennies de travail, accords et étapes, et qu’une potentielle adhésion de la Moldavie à l’Union Européenne n’irait sans implications et conséquences. 



La Moldavie, un pays entre Est et Ouest


République sovétique jusqu’en 1991, la Moldavie est, à l’aube de son indépendance, l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Et se retrouve déchiré par la guerre du Dniestr en 1992, scindant son territoire entre l’actuel Moldavie et la Transnistrie, région séparatiste pro-russe et composante de la “Nouvelle-Russie”. Déjà historiquement tiraillée, la Moldavie va dès lors faire face à un inhérent dualisme, plaçant le pays, aussi bien géographiquement, démographiquement que politiquement, aux frontières de deux sphères d'influence, entre Est et Ouest. Membre de la zone d’influence russe, de la Communauté des États indépendants, observateur au sein de la Communauté économique eurasiatique et peuplé d’une importante communauté russophone, le “pays des cités minières” entamera néanmoins un rapprochement vers l’Ouest dès le milieu des années 1990. Et dès 1994, en rejoignant le Partenariat pour la Paix de l’OTAN (PPP), créé pour permettre le dialogue, voire l’adhésion, des États issus de l’ex-bloc de l’Est. Depuis 1997, le pays est également membre de l’Organisation pour la Démocratie et le Développement (GUAM), soucieuse de se rapprocher de l’Union Européenne. Et malgré une vie politique fondée sur l’alternance entre partis pro-roumanophones et pro-russes, comme l’illustre la domination politique communiste sous la présidence de Vladimir Voronine (2001-2009), sera établie en 2009 le partenariat oriental de l’Union, composante des politiques de voisinage de l'Union européenne. 


Dans le cadre de ce partenariat, la Moldavie a également signé avec l’Union Européenne, en 2014, un accord d’association (AA), resserrant liens politiques et économiques. Soit l’engagement d’une série de réformes destinées à développer une bonne gouvernance et à se rapprocher des normes théoriques et pratiques européennes, notamment en termes de justice, de liberté et de PESC. Et l’établissement d’une zone de libre échange (ZLE) et d’un marché commun, conduisant à une coopération sectorielle étendue et aux versements d’aides macrofinancières (AMF), menant l’Union à devenir le principal partenaire commercial de la Moldavie, à hauteur de 52 % de ses échanges, ainsi que son plus gros investisseur. Enfin, cet accord d’association a également sonné le glas du dualisme moldave relatif aux sphères d’influence, éloignant définitivement Chișinău d’une possible adhésion à l’Union eurasiatique de Moscou.



L’élection de Maia Sandu et l’ère de la consécration européenne


Si les résultats du “meilleur élève du partenariat oriental” furent un temps contrariés par la présidence pro-russe d’Igor Dodon (2016-2020), conduisant même l’Union Européenne à suspendre le versement de l’aide macrofinancière (AMF), l’élection de Maia Sandu en 2020 et de son parti pro-européen d’action et de solidarité (PAS) aux législatives de 2021 ancra définitivement le virage européen de la Moldavie. 


Le parlement dominé par le PAS a approuvé la nomination de Natalia Gavrilița au poste de Premier ministre et a soutenu son ambitieux programme visant à sortir le pays post-soviétique d’une crise politique et économique prolongée et à le rapprocher de l’Union, sa principale priorité en matière de politique étrangère, en mettant pleinement en œuvre l’accord d’association UE-Moldavie. La proximité de la Moldavie avec l’Ukraine l’a rendue particulièrement vulnérable à l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Cette situation a gravement touché le pays. 


Dans ce contexte, la Moldavie a franchi l’étape historique de sa demande formelle d’adhésion à l’Union le 3 mars 2022. Le statut de pays candidat lui a été accordé lors de la réunion du Conseil européen du 23 juin 2022, marquant ainsi le début d’une nouvelle phase stratégique dans les relations entre l’Union et la Moldavie. 


En janvier 2022, la Commission a proposé un programme d’assistance macrofinancière de 150 millions d’euros en faveur de la Moldavie (dont deux tranches ont été décaissées en 2022-2023), tandis que le 24 janvier 2023, elle a suggéré d’augmenter ce montant jusqu’à 145 millions d’euros au maximum. Le Parlement européen a adopté cette proposition le 9 mai 2023. Le versement de l’assistance macrofinancière sera subordonné à la mise en œuvre du programme du FMI et des mesures politiques convenues dans le protocole d’accord. Les autorités moldaves intensifient actuellement leurs efforts de réforme pour mettre en œuvre les neuf conditions énoncées dans l’avis de la Commission sur la demande d’adhésion de la Moldavie à l’Union et pour atteindre les objectifs énoncés dans le programme d’association UE-Moldavie, qui reste un moteur des réformes et de l’alignement sur l’acquis de l’Union. Les recommandations contenues dans le rapport d’analyse de la Commission de février 2023 orientent également les efforts de réforme et de rapprochement du pays. 

La septième réunion du Conseil d’association UE-Moldavie s’est tenue le 7 février 2023. Au cours de cette réunion, l’Union et la Moldavie ont réaffirmé leur détermination à renforcer leur association politique et à approfondir leur intégration économique. La Moldavie s’est également dit déterminée à satisfaire aux exigences nécessaires afin d’entamer les négociations d’adhésion dans les meilleurs délais. La Commission a rendu compte de l’état de préparation de la Moldavie dans le cadre de son prochain paquet élargissement en octobre 2023. 


Depuis février 2023, la Russie a intensifié sa guerre hybride contre la Moldavie et tente à présent ouvertement de déstabiliser le gouvernement moldave pro-européen, en utilisant ses forces supplétives pour mener des cyberattaques, diffuser de la désinformation, semer des troubles sociaux et lancer de fausses alertes à la bombe. La présidente Maia Sandu a publiquement mis en garde contre un éventuel coup d’État armé soutenu par la Russie, camouflé sous une manifestation de l’opposition. En réponse, l’Union renforce sa coopération avec la Moldavie en matière de sécurité et de défense et déploie une mission de partenariat de l’Union européenne en Moldavie (EUPM Moldova) dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. 


La Moldavie a également accueilli le deuxième sommet de la Communauté politique européenne à Chișinău le 1er juin 2023. La décision d’organiser le sommet en Moldavie est un signal politique puissant qui souligne l’importance du pays pour l’Union. Toutefois, la question de la région séparatiste de Transnistrie, qui a proclamé unilatéralement son indépendance en 1990, demeure encore un défi majeur pour la Moldavie. Le défi est d’autant plus grand dans le contexte de la guerre en Ukraine, en raison de la présence de troupes russes et de la dépendance de la Moldavie à l'électricité provenant de Transnistrie. L’Union participe en tant qu’observateur au processus de règlement du conflit transnistrien. 

Bien que le processus de négociation soit de facto suspendu depuis 2022, l’Union reste favorable à un règlement global et pacifique, fondé sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Moldavie avec un statut spécifique pour la Transnistrie. En outre, les relations déjà tendues entre la région autonome de Gagaouzie et le gouvernement central de Chișinău se sont encore compliquées avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et continueront de poser problème.


Dans le cadre du Paquet "élargissement 2023", adopté le 8 novembre 2023, la Commission européenne a évalué les progrès réalisés par plusieurs pays, dont la Moldavie, en vue de leur adhésion à l'Union européenne. Des progrès importants ont été réalisés en vue de l’adhésion moldave à l'UE : selon la la Commission européenne, Chisinau a en effet accompli « plus de 90 % » de ce qui lui avait été demandé en matière de lutte contre la corruption, de respect les droits des minorités, d’indépendance de la justice et de dispositifs pour réduire l’influence des oligarques sur le pouvoir.



Le temps des incertitudes


En 2014, Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, affirmait que “L’Union Européenne a besoin de faire une pause dans son processus d’élargissement afin de consolider ce qui a été fait à Vingt-Huit”. Une décennie plus tard, le retour de l’élargissement semble de nouveau consacré, en dépit d’une consolidation à Vingt-Sept loin d’être acquise. Si l’on ne peut que se réjouir du succès du partenariat oriental et de l’ouverture de l’Union vers de nouveaux pays, de facto menacés par un contexte géopolitique ayant ramené la guerre aux portes du Vieux Continent, il convient de mentionner qu’une adhésion de la Moldavie à l’Union n'irait sans conséquences. 


Le pays fait encore face à de nombreux défis internes, comme celui de la Gagaouzie et de la région autonome séparatiste de Transnistrie, toujours en proie à une forte influence russe et protégée par un fragile status quo. D’ailleurs, son économie est encore dépendante énergétiquement de la Russie et suppliciée à de nombreuses difficultés. Au demeurant, la Moldavie est attachée à un statut de neutralité, garanti par sa constitution (cf Finlande et Suède). Or, son arrivée dans l’Union Européenne, dans un contexte de guerre avec la Russie et au vu de l’engagement de l’Union dans le conflit, risque d’être perçu comme une provocation, alimentant la théorie poutinienne du containment, alors que, de par ses caractéristiques géographiques et historiques, la Moldavie est perçue comme l’étranger proche, voire l’oblast exclavé, de Moscou. Au moment où les liens avec la Russie demeurent un point de clivage majeur au sein de la société moldave, comme le démontre l’opposition pro-russe à cette adhésion, les vagues d’attaques hybrides toujours plus importantes, ainsi que les explosions de violence en Transnistrie. 


D’autre part, une future arrivée de la Moldavie au sein des 27 risque de déstabiliser un équilibre déjà précaire. L’Union serait dès lors contrainte de renforcer son numéro d'équilibrisme budgétaire et monétaire, administrant déjà 27 économies parfois radicalement différentes, alors que la Moldavie était, en 2022, le pays le plus pauvre d’Europe en termes de PIB par habitant et d’indice de développement humain. 

Le risque étant celui d’un nivellement par le bas, alors que la construction européenne s’est toujours refusée à ce dernier. À cela s’ajoute la dépression du principe de solidarité, et particulièrement budgétaire, notamment de par la résistance des frugaux face aux économies moins avancées, de facto moins contributrices au budget européen. 


Un élargissement à 28 - si ce n’est plus en comptant les candidatures ukrainienne, serbe ou bosniaque - risque également d'accroître les difficultés de gouvernance de l’Union, alors que la prise de décision semble toujours plus complexe dans une Europe à 27, que les logiques de coopération tendent à prendre le pas sur celles de l’intégration, que l’articulation entre les politiques communes apparaît continûment plus ardue et que semble se multiplier un avenir aux  “géométries variables”. À cet égard, il est stupéfiant de constater l’omission (volontaire ?) des logiques intégratives, ​d’approfondissement et de renforcement, du projet d’une Europe sociale et politique. L’on peut déplorer le choix d’un réalisme privilégiant l’efficacité à l’idéalisme, pourtant à l’origine et au cœur même de l’idée européenne. 


Il ne veut pas pour autant dire que ces nouvelles adhésions doivent être remises en cause, bien au contraire. Comme l’affirmait Ursula Von Der Leyen, « l’élargissement répond à l’appel de l’histoire, il est l’horizon naturel de notre UE ». Mais, de par le contexte géopolitique, elles semblent confondre vitesse et précipitation, alors que le processus d'adhésion est, par essence et nécessité, effilé. À titre de comparaison, les Balkans occidentaux patientent dans l’antichambre de l’UE depuis des années, au risque même d’attiser des tensions avec ces derniers. Les prochaines années nous le diront, mais ce futur élargissement de l’Union n’est du moins pas sans enjeux ni défis.




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